Jean Monnet
Introduction:
Jean Monnet (1888-1979), issu d’une famille de négociants en cognac, travaille à l’exportation. À dix-huit ans, il vit pour cela à Londres, et voyage souvent aux États-Unis.
En 1914, réformé, il propose au gouvernement de créer une structure de coordination des flottes marchandes française et anglaise pour faciliter les transports maritimes. En 1919, il aide à la mise sur pied d’une Société des Nations dont il sera Secrétaire général adjoint de 1920 à 1923. Mais il démissionne pour développer le commerce d’alcool… à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que la prohibition américaine oblige à un trafic dominé par la mafia.
Les débuts de la Seconde Guerre mondiale le voient renouer, en France, avec son idée de coopération anglo-française, cette fois autour de la production d’armement. Il essaie ensuite, en 1940, de mettre sur pied une fusion de la France et du Royaume-Uni. En août 1940, il représente le gouvernement anglais aux États-Unis et persuade Roosevelt de relancer son industrie de guerre.
Membre du Comité français de la Libération nationale d’Alger, il négocie auprès du gouvernement américain les premiers prêts. À la Libération, il est logiquement nommé Commissaire au Plan, de décembre 1945 à 1952, devenant le père des plans quinquennaux de la reconstruction.
Jean Monnet travaille aussi sur le projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier, et devient, de 1952 à 1955, le premier président de sa Haute Autorité, estimant d’ailleurs avoir pour cela droit à un rang protocolaire de chef d’État. C’est alors qu’il veut aller trop vite dans l’unification européenne, proposant à l’Europe des Six une Communauté européenne de défense (CED). Mais le Parlement français, du fait notamment des votes communistes et gaullistes, rejette le projet en 1954.
Monnet démissionne alors pour créer un Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe, à vocation ouvertement fédéraliste, espérant créer une Europe qui verrait disparaître à son profit la souveraineté des États. Il repose depuis 1988 au Panthéon : «Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante »…
Discours de Jean Monnet:
UNE EUROPE FEDEREE:
Nous nous trouvons à un moment opportun pour parler de la création de l’Europe. Dans peu de mois, la Communauté européenne du charbon et de l’acier sera une réalité. Le plan Pleven pour la création d’une armée européenne passe, à son tour, par les étapes que le plan Schuman a déjà franchies. Après un an de travail, le traité établissant la Communauté européenne de défense sera bientôt signé par les gouvernements qui participent déjà au plan Schuman. L’application du plan Schuman va entraîner la suppression, en ce qui concerne le char¬bon et l’acier, des droits de douane, des contingents entre les pays participants ainsi que de toutes les pratiques discriminatoires et restrictives.
[…] Les institutions créées par le plan Schuman et le plan Pleven ouvriront une brèche dans la citadelle de la souveraineté nationale qui barre la route à l’unité de l’Europe et qui n’a été menacée par aucun des accords internationaux de coopération que nous connaissons bien. Depuis mille ans, la souveraineté nationale s’est manifestée en Europe par le développement du nationalisme, et par de vaines et sanglantes tentatives d’hégémonie d’un pays sur les autres. Dans le système des accords internationaux, les intérêts nationaux restent souverains, les gouvernements retiennent tous leurs pouvoirs, les décisions ne peuvent être prises qu’à l’unanimité. Finalement, les Européens restent divisés entre eux. Dans ce cadre, la coopération s’arrête quand les intérêts nationaux divergent et la guerre demeure leur ultime recours. L’établissement d’institutions et de règles communes assurant la fusion des souverainetés nationales unira les Européens sous une autorité commune et éliminera les causes fondamentales des conflits.
[…] La Grande-Bretagne, en raison surtout de sa position particulière comme centre du Commonwealth, n’a pas jugé pouvoir apporter sa pleine participation lorsque le plan Schuman, puis l’armée européenne ont été proposés. Nous comprenons ses raisons. Nous serons toujours heureux de l’accueillir parmi nous. Nous avons l’assurance d’ailleurs que les Anglais s’associeront à nous de la manière la plus étroite. Avec leur appui ainsi que celui des États-Unis, dans le cadre de la Communauté atlantique, nous sommes convaincus que nous pourrons ensemble faire de grands progrès dans la réalisation complète de nos projets. […]
Nous sommes résolus à agir. Nous sommes résolus à faire l’unité de l’Europe et à la faire rapidement. Avec le plan Schuman et avec l’armée européenne, nous avons posé les fondations sur lesquelles nous pourrons construire les États-Unis d’Europe, libres, vigoureux, pacifiques et prospères.