John Kennedy
Même s’il lance une politique de dialogue avec le nouveau dirigeant de l’Union soviétique Nikita Khrouchtchev, ou peut-être parce qu’il lance ce dialogue, John F. Kennedy veut aussi montrer sa fermeté. L’année de son élection, il engage plus encore son pays dans la course à l’espace et dans celle aux armements, dont les missiles nucléaires à longue portée. Mais il veut surtout s’opposer à la diffusion du communisme dans le monde, et notamment dans les Amériques.
En avril 1961, il laisse faire la tentative de débarquement d’exilés cubains sur leur île, dans la « baie des Cochons ». C’est un échec, que Kennedy doit assumer devant l’opinion publique. L’une des conséquences sera l’embargo américain sur Cuba qui débute le 7 février 1962. Mais, en mai, Khrouchtchev décide d’envoyer des hommes et des missiles nucléaires sur l’île.
Le 14 octobre 1962, Kennedy est averti que les Soviétiques sont en train de construire des sites de stockage et de lancement de missiles nucléaires sur Cuba, et que des navires soviétiques porteurs d’ogives font route vers l’île. C’est dans ce cadre qu’il prononce cette mise en garde à l’Union soviétique, montrant ce que les Etats-Unis sont prêts à ne pas accepter. Il présente les données au peuple américain et
demande à l’URSS de stopper ses opérations, décidant cette fois du blocus de l’île.
Khrouchtchev renonce d’abord à rompre ce dernier, alors pourtant que ses cargos sont escortés de sous-marins. Le 29 octobre, il donne l’ordre de démanteler les sites cubains. Les États-Unis, en contrepartie, retirent leurs fusées installées en Turquie, et s’engagent à ne pas tenter d’action armée contre Cuba. C’est de cette crise que date l’idée du fameux « téléphone rouge » pouvant relier directement les deux chefs d’État.
Une fois la crise cubaine passée, Kennedy continue à négocier avec les Soviétiques et signe avec eux le traité qui interdit les essais dans l’atmosphère. Il gagne avec cette crise une image de fermeté sur la scène internationale, quand Khrouchtchev, qui semble avoir fait les plus grandes concessions, en sort personnellement affaibli.
Discours de john fitzgerald kennedy:
LA CRISE DES MISSILES
Bonsoir mes compatriotes,
Fidèle à sa promesse, le gouvernement a continué de surveiller de très près les préparatifs militaires soviétiques à Cuba. Au cours de la dernière semaine, nous avons eu des preuves incontestables de la construction de plusieurs bases de fusées dans cette île opprimée. Ces sites de lancement ne peuvent avoir qu’un but : la constitution d’un potentiel nucléaire dirigé contre l’hémisphère occidental.
Cette transformation précipitée de Cuba en importante base stratégique, par suite de la présence de ces puissantes armes offensives à long rayon d’action et qui ont des effets de destruction massive, constitue une menace précise pour la paix et pour la sécurité de toutes
les Amériques. Elles font délibérément fi, et d’une façon flagrante, du pacte de Rio de 1947, des traditions de cette nation et de cet hémisphère, de la résolution conjointe prise par le 87e Congrès, de la Charte des Nations unies et de mes propres mises en garde publiques aux Soviétiques les 4 et 13 septembre.
Cette action est également en contradiction avec les assurances réitérées données par les porte-parole soviétiques, tant en public qu’en privé, selon lesquelles l’installation d’armements à Cuba ne revêtirait que le caractère défensif prévu à l’origine, et que l’Union soviétique n’a aucun besoin, ni aucun désir d’installer des missiles stratégiques sur le sol d’une autre nation.
Ni les États-Unis d’Amérique ni la communauté mondiale des nations ne peuvent tolérer une duperie délibérée et des menaces offensives de la part d’une quelconque puissance, petite ou grande. Nous ne vivons plus dans un monde où seule la mise à feu d’armes constitue une provocation suffisante envers la sécurité d’une nation et constitue un péril maximum. Les armes nucléaires sont tellement destructrices, et les engins balistiques sont tellement rapides, que tout accroissement substantiel dans les moyens de les utiliser, ou que tout changement subit de leur emplacement peut parfaitement être considéré comme une menace précise pour la paix.
Durant plusieurs années, l’Union soviétique, de même que les États-Unis — conscients de ce fait —, ont installé leurs armements nucléaires stratégiques avec grand soin, de façon à ne jamais mettre en danger le statu quo précaire qui garantissait que ces armements ne seraient pas utilisés autrement qu’en cas de provocation mettant notre vie en jeu. Nos propres missiles stratégiques n’ont jamais été transférés sur le sol d’aucune autre nation sous un voile de mystère et de tromperie, et notre histoire – contrairement à celle des Soviétiques depuis la Seconde Guerre mondiale — a bien prouvé que nous n’avons aucun désir de dominer ou de conquérir aucune autre nation ou d’imposer un système à son peuple. Il n’empêche que les citoyens américains se sont habitués à vivre quotidiennement sous la menace des missiles soviétiques installés sur le territoire de l’URSS ou bien embarqués à bord de sous-marins.
Dans ce contexte, les armes qui sont à Cuba ne font qu’aggraver un danger évident et actuel – bien qu’il faille prendre note du fait que les nations d’Amérique latine n’ont jamais jusqu’à présent été soumises à une menace nucléaire en puissance.
Mais cette implantation secrète, rapide et extraordinaire de missiles communistes dans une région bien connue comme ayant un lien particulier et historique avec les États-Unis et les pays de l’hémisphère occidental, en violation des assurances soviétiques et au mépris de la politique américaine et de celle de l’hémisphère – cette décision soudaine et clandestine d’implanter pour la première fois des armes stratégiques hors du sol soviétique -, constitue une modification délibérément provocatrice et injustifiée du statu quo, qui ne peut être acceptée par notre pays si nous voulons que notre courage et nos engagements soient reconnus comme valables par nos amis comme par nos ennemis.
Les années 1930 nous ont enseigné une leçon claire : les menées agressives, si on leur permet de s’intensifier sans contrôle et sans contestation, mènent finalement à la guerre. Notre pays est contre la guerre. Nous sommes également fidèles à notre parole. Notre détermination inébranlable doit donc être d’empêcher l’utilisation de ces missiles contre notre pays ou n’importe quel autre, et d’obtenir leur retrait de l’hémisphère occidental.
Notre politique a été marquée par la patience et la réserve. Nous avons fait en sorte de ne pas nous laisser distraire de nos objectifs principaux par de simples causes d’irritation ou des actions de fanatiques. Mais aujourd’hui il nous faut prendre de nouvelles initiatives
– c’est ce que nous faisons et celles-ci ne constitueront peut-être qu’un début. Nous ne risquerons pas prématurément ou sans nécessité le coût d’une guerre nucléaire mondiale dans laquelle même les fruits de la victoire n’auraient dans notre bouche qu’un goût de cendre, mais nous ne nous déroberons pas devant ce risque, à quelque moment que nous ayons à y faire face.
Premièrement : Pour empêcher la mise en place d’un dispositif offensif, une stricte « quarantaine » sera appliquée sur tout équipement militaire offensif à destination de Cuba. Tous les bateaux à destination de Cuba, quels que soient leur pavillon ou leur provenance, seront interceptés et seront obligés de faire demi-tour s’ils transportent des armes offensives. Si besoin est, cette quarantaine sera appliquée également à d’autres types de marchandises et de navires. Pour le moment, cependant, nous ne cherchons pas à priver la population cubaine des produits dont elle a besoin pour vivre, comme les Soviétiques tentèrent de le faire durant le blocus de Berlin en 1948.
Deuxièmement : J’ai donné des ordres pour que soient poursuivies et accrues la surveillance étroite de Cuba et la mise en place d’un dispositif militaire. […]
Troisièmement : Toute fusée nucléaire lancée à partir de Cuba, contre l’une quelconque des nations de l’hémisphère occidental, sera considérée comme l’équivalent d’une attaque soviétique contre les États-Unis, attaque qui entraînerait des représailles massives contre l’Union soviétique.
Quatrièmement : Comme précaution militaire impérieuse, j’ai renforcé notre base à Guantanamo […].
Cinquièmement : Nous avons demandé ce soir la convocation immédiate de l’organisme de consultation des États américains, afin de prendre en considération cette menace pour la sécurité du continent […]. Nos autres alliés de par le monde ont également été prévenus.
Sixièmement : Conformément à la Charte des Nations unies, nous demandons ce soir une réunion d’urgence du Conseil de sécurité afin de répondre à cette récente menace soviétique pour la paix du monde. La résolution que nous nous proposons de soumettre consiste à prévoir le démantèlement rapide et le retrait de toutes les armes offensives de Cuba, sous le contrôle d’observateurs de l’ONU, avant que l’embargo ne puisse être levé.
Septièmement et finalement : Je fais appel à M. Khrouchtchev afin qu’il mette fin à cette menace clandestine, irresponsable et provocatrice pour la paix du monde et le maintien de relations stables entre nos deux nations. Je lui demande d’abandonner cette politique de domination mondiale et de participer à un effort historique en vue de mettre fin à une périlleuse course aux armements et de transformer l’histoire de l’homme. […] Le prix de la liberté est toujours élevé, mais l’Amérique a toujours payé ce prix. Et il est un seul chemin que nous ne suivrons jamais : celui de la capitulation et de la soumission. […]
Notre but n’est pas la victoire de la force mais la défense du droit. Il n’est pas la paix aux dépens de la liberté, mais la paix et la liberté dans cet hémisphère et, nous l’espérons, dans le monde entier. Avec l’aide de Dieu, nous atteindrons ce but.
Intervention télévisée et radiodiffusée 22 octobre 1962.
john fitzgerald kennedy:
Lorsque le président des États-Unis se rend à Berlin, en juin 1963, il y a déjà deux ans que le fameux Mur de Berlin sépare les secteurs alliés (ceux de la France, des États- Unis et de la Grande-Bretagne) du secteur soviétique. Depuis la conférence de Yalta du 6 février 1945, l’Allemagne est divisée entre ces puissances, et la ville de Berlin, isolée sans la zone soviétique, est reliée aux autres secteurs par un couloir routier et ferroviaire et par son aéroport. C’est grâce à celui-ci quelle est ravitaillée pendant un an, lorsque, en 1948, les Soviétiques décident de son blocus. À la fin de cette crise, le 4 mai 1949, l’entente née de la guerre a fait place à la guerre froide, et Berlin fait figure de symbole.
Les deux blocs s’opposent ensuite presque frontalement en Asie (Corée, Chine) ou en Amérique latine (Cuba). Au début des années 1960, les choses semblent changer avec l’arrivée au pouvoir de deux hommes neuf, Nikita Khrouchtchev en URSS et John Fitzgerald Kennedy aux États-Unis. Mais Khrouchtchev ne peut espérer engager la déstalinisation sans donner de gages à son propre camp, et Berlin en fait les frais, par Parti communiste frère interposé.
À partir du 13 août 1961, pour empêcher les habitats de la zone Est de gagner la zone Ouest, la ville va être physiquement séparée, par des barbelés d’abord, puis par un mur de près de cinquante kilomètres de long. Miradors, clôtures électrifiées, policiers (les « Vopos ») qui n’hésitent pas à tirer sur ceux qui tentent de passer, « check points » entre zones ultra-surveillées : Berlin-Est va ressembler à une pri¬on pendant des années, sans que les Etats-Unis ou quiconque ait beaucoup manifesté alors.
La visite de Kennedy à Berlin se situe à un moment clé de la recherche d’un nouvel équilibre entre les blocs, notamment dans le domaine du nucléaire : la crise des fusées de Cuba est passée, des accords sont en vue quant à la limitation puis à l’interdiction des essais atomiques dans l’atmosphère. Mais pour l’Américain aussi il faut marquer le terrain de manière offensive. Se rendre à Berlin comme il le fait, affirmer face au Mur l’opposition entre monde libre et monde communiste, user de la langue allemande et, plusieurs fois, rappeler la bonne foi, la bonne volonté des Allemands de l’après-guerre, sont autant de symboles forts, qui se résumeront dans la phrase célèbre : « Ich bin ein Berliner »…ICH BIN EIN BERLINER
Je suis fier d’être venu dans votre ville, invité par votre bourgmestre régnant. Votre bourgmestre symbolise aux yeux du monde entier l’esprit combattant de Berlin- Ouest. Je suis fier d’avoir visité la République fédérale avec le chancelier Adenauer qui durant de si longues années a construit la démocratie et la liberté en Allemagne.
Il ne manque pas de personnes au monde qui ne veulent pas comprendre ou qui prétendent ne pas vouloir comprendre quel est le litige entre le communisme et le monde libre. Qu’elles viennent donc à Berlin. D’autres prétendent que le communisme est l’arme de l’avenir. Qu’ils viennent eux aussi à Berlin. Certains, enfin, en Europe et ailleurs, prétendent qu’on peut travailler avec les communistes. Qu’ils viennent donc ceux-là aussi à Berlin.
Notre liberté éprouve certes beaucoup de difficultés et notre démocratie n’est pas parfaite. Cependant nous n’avons jamais eu besoin, nous, d’ériger un mur pour empêcher notre peuple de s’enfuir. Je ne connais aucune ville qui ait connu dix-huit ans de régime d’occupation et qui soit restée aussi vitale et forte et qui vive avec l’espoir et la détermination qui est celle de Berlin-Ouest.
Le mur fournit la démonstration éclatante de la faillite du système communiste. Cette faillite est visible aux yeux du monde entier. Nous n’éprouvons aucune satisfaction en voyant ce mur, car il constitue à nos yeux une offense non seulement à l’histoire mais encore une
offense à l’humanité.
La paix en Europe ne peut pas être assurée tant qu’un Allemand sur quatre sera privé du droit élémentaire des hommes libres à l’autodétermination. Après dix-huit ans de paix et de confiance, la présente génération allemande a mérité le droit d’être libre, ainsi que le droit à la réunification de ses familles et de sa nation pacifiquement et durablement. Vous vivez sur un îlot de liberté mais votre vie est liée au sort du continent.
Je vous demande donc de regarder par-dessus les dangers d’aujourd’hui vers les espoirs de demain, de ne pas penser seulement à votre ville et à votre patrie allemande, mais d’axer votre pensée sur le progrès de la liberté dans le monde entier.
Ne voyez pas le mur, envisagez le jour où éclatera la paix, une paix juste. La liberté est indivisible et, tant qu’un seul homme se trouvera en esclavage, tous le» autres ne peuvent être considérés comme libres.
Mais quand tous les hommes seront libres, nous pourrons attendre en toute confiance le jour où cette ville de Berlin sera réunifiée et où le grand continent européen rayonnera pacifiquement.
La population de Berlin-Ouest peut être certaine qu’elle a tenu bon pour la bonne cause sur le front de la liberté pendant une vingtaine d’années. Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont citoyens de cette ville de Berlin-Ouest, et pour cette raison, en ma qualité d’homme libre, je dis : ich bin ein Berliner [je suis un Berlinois].
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