Si j'avais encore mes 80 ans !
Auteur : Fontenelle , vers 1745
Explication
Neveu de Pierre Corneille, le physicien Bernard Le Bovier de Fontenelle loucha à presque tous les genres littéraires. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, il prit résolument parti pour les Modernes dans une Digression parue en 1688. Elu à l’Académie française en 1691, Fontenelle y siégea pendant… soixante-six ans !Car cet homme des Lumières a vécu presque un siècle : né le 11 février 1657, il est mort le 9 janvier 1757. Dans tous les salons, on apprécie son humour et ses talents de conteur. Mais le vieux célibataire ne peut s’empêcher de regretter ses jeunes années. C’est ainsi qu’au salon de la marquise de Tencin, alors qu’il a près de 90 ans, il se précipite pour ramasser l’éventail d’une jeune femme avant de lui glisser: «Ah, si j’avais encore mes 80 ans!» Le baron Grimm remarque d’ailleurs, en 1751, que les femmes s’arrachent cet illustre vieillard, certes un peu sourd. On aime son esprit mais on délaisse ses livres… Un jour, rapporte encore le baron, Fontenelle rend visite à Madame Crimaud, âgée de 103 ans. « La mort nous a oubliés », remarque-t-elle avec lassitude. Un in doigt sur la bouche, l’académicien murmure : « Chut, elle pourrait nous entendre. » Voilà tout le paradoxe du grand âge, quand il reste lucide : on souhaite vivre, mais le sentiment de la déchéance s’installe. « Je vous aime bien, dit un jour le physicien au cardinal de Bernis, et c’est à cause de cela que je ne désire pas que vous deveniez aussi vieux que je le suis. » À 93 ans, il confie dans une lettre : « Il est vrai que je vis encore, et à des conditions assez tolérables, mais je sais bien aussi que, de jour en jour, elles le deviendront moins, et le lointain n’est pas joli, humainement parlant. »