Le bonheur : Le bonheur est une idée neuve en Europe
Étrange déclaration que celle du révolutionnaire français Saint-Just : comment le bonheur pourrait-il être une invention de la modernité ? N’est-il pas l’aspiration universelle de l’humanité, par-delà les époques et les cultures ?
Certes, le bonheur est un désir connu de tous, mais l’originalité de la formule réside dans la revendication inédite d’un droit au bonheur pour tous. Insurgée contre l’arbitraire d’une monarchie tyrannique, révoltée par le spectacle de l’injustice, l’utopie révolutionnaire clame avec force l’urgence d’établir une société régénérée. La proclamation de Saint-Just, adressée aux monarchies voisines menaçant la jeune république, affirme sa volonté de diffuser les Lumières de la Révolution dans toute l’Europe. Le bonheur ne doit plus être le privilège de quelques- uns ici-bas ou l’incertaine récompense d’un salut dans l’au-delà. Il sera désormais accessible à tous grâce à l’institution d’un État qui accorde à chacun ses droits fondamentaux et s’engage à pourvoir aux besoins des plus misérables.
L’ambition de ce projet laisse rêveur, par sa promesse d’un bonheur universel. Mais il n’est pas sans danger, car exiger de l’État le devoir d’assurer le bonheur, c’est lui octroyer le droit de modeler la société au nom de cet idéal enthousiasmant. La Déclaration d’indépendance américaine (1776) s’est montrée plus nuancée et plus pragmatique, puisqu’elle proclame, non le bonheur pour tous, mais le droit pour chacun de « rechercher son bonheur » en fonction de ses désirs et de ses moyens.