La science : La science ne pense pas
Martin Heidegger, philosophe aux engagements politiques controversés, interroge ici les fondements mêmes de la science. Celle-ci accède à des vérités fiables, mais est incapable de découvrir son propre principe. La physique, par exemple, a beau nous offrir les lois de la nature, elle ne peut selon Heidegger définir ce qu’est l’espace ou le temps, ni éclairer ses propres présupposés. Pourquoi ?
Au cœur de la science gît, selon Heidegger, un oubli majeur : en traitant toute chose comme objet de connaissance, elle appréhende le réel tel qu’il est et se prive de comprendre ce par quoi il est. Pour cela, il faudrait qu’elle puisse s’interroger sur l’Être. Mais ce type de question, propre à la métaphysique, est par définition jugé oiseux. Se demander pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien serait immédiatement considéré comme dénué de valeur scientifique. Alors que « penser », pour Heidegger, signifie justement se tenir dans le sillage de ces questions premières. La science, par nature, est donc incapable de penser, c’est-à-dire d’offrir à l’homme un éclairage profond sur l’Être.
Pourtant c’est là aussi, ajoute Heidegger, le gage de son succès. Car, engagée dans un vaste projet calculatoire, la science peut conquérir la nature sans se préoccuper de ce qui se dérobe à son enquête. Une fois que les choses sont traitées de façon objective, le monde gagne en lisibilité. Ainsi, plus la science se spécialise, plus elle devient à la fois efficace… et oublieuse des questions ultimes. En somme, moins elle pense, et plus son emprise se déploie sur le monde !