Nature et culture : Le premier être humain à avoir décoché à son ennemi une insulte plutôt qu'une flèche est le fondateur de la civilisation
Aucun angélisme chez le fondateur de la psychanalyse : Freud inclut parmi les données primordiales de la nature humaine un fonds incompressible d’agressivité, que nous serions tous tentés d’assouvir aux dépens de notre «prochain ». Et c’est l’une des tâches principales de la culture que de limiter cette agressivité, ou du moins d’en réduire les manifestations. Mais comment ?
Aux yeux de Freud, ni la répression brutale de ces pulsions ni, à l’inverse, la promotion de l’amour ne sauraient être suffisantes. Il faut trouver des débouchés aux instincts asociaux, en les détournant de leurs buts primitifs vers des activités socialement acceptables. La violence doit donc être réorientée, en particulier à travers les ressources symboliques que nous offre le langage. L’insulte est un cas exemplaire : celui qui s’y est adonné sait qu’elle permet de décharger une certaine excitation intérieure et d’y trouver un plaisir sincère, tout en évitant le passage à l’acte. Ce qu’on observe chez un individu peut être étendu à la civilisation dans son ensemble. Ne constate-t-on pas que toutes les cultures possèdent des insultes… de même que tous les hommes possèdent en eux des instincts agressifs ?
Cette double universalité n’est sans doute pas le fruit du hasard. La domestication de la violence humaine, à la fois condition et produit de la culture, est pour Freud le résultat d’un détournement : ainsi les affrontements guerriers sont remplacés par des hurlements de supportées, les rixes de rues par des joutes oratoires et les coups de poing par des calomnies.