Le temps et l'histoire : On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve
Héraclite a sans doute vécu durant la fin du VIe siècle avant notre ère. Surnommé l’Obscur, ce philosophe déroutait déjà ses premiers auditeurs par son style énigmatique et imagé. Comment peut-on affirmer qu’il est impossible de se baigner deux fois dans le même fleuve ?
Tout tient à l’ambiguïté du mot « même ». Il est certes possible de se baigner à deux reprises dans la Garonne. Mais, en deux moments différents, les eaux de ce fleuve, en raison de leur flux, ne peuvent être exactement identiques. Nous n’y prêtons guère attention et attribuons au fleuve le même nom : Garonne. Car notre langage ne peut suivre les variations continues du monde – il lui faudrait une infinité de mots pour désigner l’aspect du fleuve à chaque instant. C’est ainsi que nous nous laissons prendre à l’illusion de la permanence, en oubliant que tout s’écoule. Et le fleuve n’est pour Héraclite que l’image de l’univers tout entier, en devenir incessant, où chaque état est fugitif et où la seule chose qui demeure, c’est le changement lui-même.
Pourtant, la « coulée » des êtres et des choses, note Héraclite, n’empêcher pas leur retour, comme le montre le cycle des saisons. De même que sur la circonférence d’un cercle, les points de départ et d’arrivée se confondent. Prendre conscience de la fugacité du temps n’implique donc pas le désespoir, puisque le devenir n’interdit pas le « revenir ». Tout comme l’équilibre du fleuve dépend du flux régulier de ses eaux, l’harmonie du cosmos repose finalement sur la nécessité du changement.