Autrui : L'enfer , c'est les Autres
Ce verdict, qui clôt la pièce de Sartre, semble confirmer l’un de nos pressentiments : tout serait tellement plus simple si les « autres » n’interféraient dans nos désirs, ligués, semble-t-il, pour nous rendre l’existence Infernale. Faut-il en conclure que ce sont eux les responsables de nos malheurs ?
La philosophie sartrienne affirme exactement l’inverse : rien ne nous permet d’accuser autrui de ce que nous vivons, car nous sommes absolument libres de nos choix. Et même si nos proches peuvent les influencer, nous devons les assumer entièrement. Mais, parce que cette prise de conscience est difficile et angoissante, nous cherchons souvent le moyen de nous décharger du poids de la culpabilité. C’est justement le discours que tiennent les protagonistes de Huis dos : la lâcheté de l’un, l’infanticide de l’autre leur auraient été soi-disant dictés par la nécessité.
Seulement, dans la pièce, « les jeux sont faits » puisqu’ils sont morts et vient l’heure du jugement dernier. Un jugement dernier tout à fait particulier : dans l’univers existentialiste de Sartre, Dieu n’existe pas, c’est le regard d’autrui qui nous juge. Le châtiment des personnages de la pièce sera donc de se supporter réciproquement, autrement dit d’endurer pour l’éternité le rappel de leur responsabilité. L’enfer, c’est bien en ce sens les autres, non pas parce qu’ils nous voudraient du mal, mais parce qu’ils incarnent la plus implacable des condamnations en nous renvoyant à nous-mêmes. N’est-ce pas pour échapper à ce regard que certains crimes se commettent la nuit, à l’insu de tous, comme si l’anonymat protégeait du jugement ?
On songe à l’aveu de Goethe : « Pour moi le plus grand supplice serait d’être seul en paradis. » Car au fond, qu’y aurait-il de pire : ne plus échapper au regard d’autrui… ou ne plus jamais pouvoir s’y mirer ?