La science : Les mathématiques peuvent être définies comme le domaine dans lequel on ne sait jamais de quoi l'on parle , ni si ce que l'on dit est vrai
Il n’y a, dans cette formule, aucun mépris des mathématiques. Russell est mathématicien autant que philosophe. À sa manière toute britannique, il rappelle ce que les développements des mathématiques pures n’ont cessé de confirmer depuis le XIXe siècle.
Les énoncés de cette discipline sont formulés en un langage symbolique qui élimine toute ambiguïté, mais rend les raisonnements exclusivement logiques, « formels ». Ün mathématicien peut poursuivre des déductions en pensant à un certain triangle rectangle, mais son raisonnement vaudra de toute façon pour une infinité de triangles rectangles, et une infinité d’autres objets encore. De fait, il ne saura jamais quelles sont toutes les choses à propos desquelles son raisonnement pourrait s’appliquer ! D’ailleurs, on peut aujourd’hui faire démontrer à un ordinateur des théorèmes simples, après lui avoir inséré en mémoire des règles de logique et des axiomes (c’est-à-dire des énoncés qui lui servent de point de départ). L’ordinateur sait-il pour autant de quoi il parle ?
Russell ajouterait qu’il n’est même pas nécessaire qu’il parle de quoi que ce soit. Car le raisonnement lui-même, s’il est cohérent, peut être correct alors qu’il ne s’applique à aucun objet réel. Les mathématiques pures peuvent donc se dispenser d’un lien avec la réalité, pourvu que leurs énoncés soient correctement démontrés. Derrière la boutade de Russell se cache ainsi une profonde leçon : pour atteindre leur rigueur sans égal, les mathématiciens ont renoncé en partie à l’idée de vérité comme adéquation au monde, pour se contenter de la validité formelle de leurs raisonnements.