Mozart
Sociologie d’un génie ou un musicien à la cour royale
Dans une étude restée inachevée sur Wolfgang Amadeus Mozart (Mozart, sociologie d’un génie, 1986), Norbert Elias montre, en rupture avec l’image communément partagée d’un génie libéré de toutes les contraintes sociales, que le compositeur est d’abord dépendant de la position objective occupée dans la structure sociale de l’époque par les musiciens, assujettis au pouvoir central incarné par la cour royale. Les aristocrates organisent alors les concerts, les financent et décident en matière de production musicale ce qui doit être joué et composé. Pour être reconnu socialement comme un artiste, les musiciens, quelle que soit leur origine sociale, sont dans l’obligation de s’assurer une position dans le réseau des institutions de la Cour. Ils acceptent pour la plupart leur domination et s’accordent aux normes et aux sensibilités dominantes.
Wolfgang Amadeus Mozart refuse quant à lui d’être traité comme un subalterne et se révolte contre les aristocrates. Cette prise de position ne peut être comprise que rapportée à la socialisation du compositeur qui, dès les premiers moments de sa vie, baigne dans un univers familial consacré exclusivement à la culture musicale. Son père Léopold Mozart, lui-même musicien, et ses soeurs ne cessent de s’exercer devant lui.
Très rapidement, le petit enfant imite ses proches, se met au piano et apprend quelques notes. Devant les dispositions de son fils, Léopold décide de s’occuper du jeune Wolfgang. Durant vingt ans, ils ne se quittent plus. L’étroitesse de leurs relations est à la mesure de leurs besoins réciproques : Léopold redonne un sens à son existence de musicien raté, Wolfgang trouve l’amour du père. En signe de reconnaissance pour son immense talent, le jeune prodige est invité à dîner à la table du roi à l’âge de sept ans puis, par la suite, est fait chevalier par le pape. Mais la proximité physique de Wolfgang Amadeus Mozart avec le pouvoir cache une distance sociale. Il connaît ainsi des difficultés matérielles, les aristocrates ne le payant que selon leur bon vouloir. Mais il souffre surtout des expériences de déclassement social. Il reproche notamment à son père de ramper, de s’aplatir, de flatter la Cour.
Toute l’histoire sociale de Mozart est ainsi animée par cette recherche d’une position dans la configuration de la cour royale qui puisse lui permettre d’exprimer tout à la fois son talent et d’être reconnu socialement. C’est son habitus qui le pousse à vouloir modifier les limites du dicible, à inventer une nouvelle position, celle de l’artiste indépendant. Mozart lutte seul, pour lui, pour que sa musique, produit complexe