Nature et culture : Le barbare , c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie
Dans un texte qu’il rédige pour l’Unesco en 1952, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss stigmatise l’« ethnocentrisme », c’est-à-dire la tendance qu’a chacun de faire de son propre groupe la référence absolue de tout jugement de valeur.
Cette attitude n’est-elle pas aussi vieille que le monde ? Les Grecs traitaient déjà de « barbares » tous ceux qui ne parlaient pas leur langue. Ce terme évoquait pour eux le chant inarticulé des oiseaux (caquetage, croassement…), c’est-à-dire un genre de vie animal. Chaque culture se plaît, de même, à se considérer comme dépositaire de la véritable civilisation et à renvoyer sans vergogne toutes les autres du côté de la sauvagerie. « Habitudes de primitifs ! », avons-nous tendance à penser lorsque nous sommes mis en présence de mœurs exotiques. Le paradoxe, remarque Lévi-Strauss, c’est qu’en refusant l’« humanité » à ceux qui nous paraissent sauvages, nous ne faisons que leur emprunter une de leurs attitudes les plus typiques. D’où cette situation absurde où chacun traite l’autre de barbare, en miroir… alors qu’une conception réfléchie impliquerait de reconnaître la diversité des valeurs et des pratiques culturelles. L’Occident s’est particulièrement illustré, il faut bien le reconnaître, en utilisant ce schéma ethnocentrique pour légitimer ses entreprises coloniales, souvent dévastatrices. Et pour cause : ne se permet-on pas d’être d’autant plus cruel avec d’autres êtres humains qu’on les considère comme « barbares » ?