Winston Churchill
Introduction:
On connaît de ce Premier ministre britannique ses bons mots, ses sarcasmes à l’égard de ses ennemis et, souvent, de ses amis. Winston Churchill (1874-1965) s’est méfié du bolchévisme dès son apparition en Russie, soutenant alors les Russes blancs et les Polonais. Mais ce démocrate à moitié convaincu (on se souvient de sa formule selon laquelle la démocratie serait le pire des régimes à l’exception des autres) s’opposa ensuite, malgré la possibilité de front antibolchévique commun, au fascisme et, surtout, à un national- socialisme auquel était d’ailleurs allié le gouvernement soviétique en 1940.
Pragmatique, Churchill se résigne à traiter avec Staline après l’invasion allemande de La zone polonaise conquise par les Russes et d’une part de la Russie. Et, lors de la fameuse conférence de Yalta, à laquelle s’est décidé le partage du monde, il siège aux côtés du dictateur communiste et du président américain. Il ne se faisait sans doute pas beaucoup d’illusions sur les conséquences de ce partage, et il avait raison : les « pays frères » de l’Europe de l’Est furent mis sous la coupe de gouvernements fantoches, leurs industries pillées par la Russie dès leur « libération ». Pour Staline, ce partage n’était que la légitimation d’un droit de conquête vaguement déguisé sous les arguties du droit international.
Battu aux élections de juillet 1945, Churchill voyage en Italie, en France puis aux Etats-Unis. C’est là qu’il prononce, invité par le président Truman, ce discours qu’il intitulera « Le nerf de la paix ». À titre privé, comme il le rappelle clairement au début de son intervention, l’ancien homme d’État s’inquiète de l’attitude hostile de l’URSS et de ses satellites, de cette fermeture de la société communiste, de ce dangereux repli sur soi de ce qui forme le bloc de l’Est. Mal compris à l’époque, car il fut considéré par certains comme presque belliciste, ce discours popularisa surtout la célèbre formule du « rideau de fer ».
Discours de Winston Churchill:
LE NERF DE LA PAIX:
M. le président McCIuer, Mesdames et Messieurs, et enfin, mais ce n’est certainement pas le moins important, Monsieur le président des Etats-Unis d’Amérique,
Je suis heureux d’être à Westminster ( lollcge cet après- midi, et je suis flatté qu’une institution à la réputation aussi solidement établie souhaite me conférer un doctorat honoris causa.
Le nom de « Westminster » m’est quelque peu familier. Il me semble l’avoir déjà entendu. En effet, c’est à Westminster que j’ai reçu une très grande partie de mon éducation en politique, en dialectique, en rhétorique et dans une ou deux autres matières encore. En fait, en matière d’éducation, ce sont deux institutions identiques, ou similaires, ou du moins analogues.
C’est également un honneur, Mesdames et Messieurs, et un honneur peut-être quasiment unique, pour un visiteur privé d’être présenté à une audience académique par le président des Etats-Unis. […]
Le président vous a dit que c’est son vœu et je suis sûr que c’est aussi le vôtre, que j’aie toute liberté d’exprimer mon opinion honnête et loyale en ces temps d’anxiété et de déroute. Je vais bien évidemment user de cette liberté, d’autant plus que toutes les ambitions personnelles que j’ai pu caresser dans ma jeunesse ont été satisfaites au-delà de mes rêves les plus audacieux. Permettez-moi toutefois de préciser clairement que je n’ai aucune mission ni aucune habilitation officielles quelles qu’elles soient et que je parle uniquement en mon nom personnel. Il n’y a rien d’autre ici que ce que vous voyez.
[…] Quel est donc notre concept stratégique global aujourd’hui ? Ce n’est rien de moins que la sécurité et le bien-être, la liberté et le progrès pour les foyers et les familles, pour tous les hommes et toutes les femmes dans tous les pays. Je pense tout particulièrement ici à la myriade de petites maisons et d’appartements où les salariés s’efforcent, au milieu des vicissitudes et des difficultés de la vie, de préserver leurs épouses et leurs enfants des privations et d’élever leur famille dans la crainte du Seigneur ou selon des conceptions éthiques dont le rôle est souvent important.
Pour assurer la sécurité de ces innombrables foyers, il faut les protéger contre les deux affreux maraudeurs que sont la guerre et la tyrannie. Nous connaissons tous les effroyables bouleversements qui accablent une famille ordinaire lorsque la malédiction de la guerre frappe le père de famille et ceux pour qui il travaille et peine. […]
Après avoir proclamé leur « concept stratégique global » et évalué les ressources disponibles, nos collègues militaires américains passent toujours à l’étape suivante, à savoir la méthode. Là encore, nous sommes largement d’accord. Une organisation mondiale a déjà été instaurée,
dont la mission première est d’empêcher la guerre. L’ONU, qui succède à la Société des Nations, avec l’adhésion déterminante des États-Unis et tout ce que cela implique, a déjà commencé à travailler. Nous devons faire en sorte que son travail porte des fruits, qu’elle soit une réalité et non une fiction, quelle soit une force tournée vers l’action et non seulement un flot de paroles creuses, qu’elle soit un vrai temple de la paix où pourront un jour être suspendus les boucliers de beaucoup de nations, et non seulement un poste de contrôle dans une tour de Babel. Avant de nous défaire de nos armements nationaux, qui constituent une assurance solide pour notre sécurité, nous devons être sûrs que notre temple a été construit non pas sur des sables mouvants ou des bourbiers, mais sur du roc. […]
Je tiens à faire, à cet égard, une proposition d’action précise et concrète. Nous avons beau instituer des tribunaux et des magistrats, ils ne pourront pas fonctionner sans police. L’Organisation des Nations unies doit être équipée dès le départ d’une force armée internationale. […]
J’en arrive maintenant au second danger qui menace les maisons, les foyers et les gens humbles, à savoir la tyrannie. Nous ne pouvons fermer les yeux devant le fait que les libertés dont jouit chaque citoyen partout aux États-Unis et partout dans l’Empire britannique n’existent pas dans un nombre considérable de pays, dont certains sont très puissants. Dans ces États, un contrôle est imposé à tout le monde par différentes sortes d’administrations policières toutes-puissantes. Le pouvoir de l’État est exercé sans restriction, soit par des dictateurs, soit par des oligarchies compactes qui agissent par l’entremise d’un parti privilégié et d’une police politique. À un moment où les difficultés sont si nombreuses, notre devoir n’est pas d’intervenir par la force dans les affaires intérieures de pays que nous n’avons pas conquis pendant la guerre. Toutefois, nous ne devons jamais cesser de proclamer sans peur les grands principes de la liberté et les droits de l’homme, qui sont l’héritage commun du monde anglophone et qui, en passant par la Grande Charte, la Déclaration des droits, l’Habeas Corpus, les jugements par un jury et le droit civil anglais, trouvent leur plus célèbre expression dans la Déclaration d’indépendance américaine.
Tout cela signifie que les populations de n’importe quel pays ont le droit et devraient avoir la possibilité, constitutionnellement garantie, de choisir ou de changer le caractère ou la forme du gouvernement sous lequel elles vivent, au scrutin secret, dans des élections libres et sans entraves ; cela signifie qu’il faudrait que règne la liberté de parole et de pensée ; que les tribunaux, indépendants du pouvoir exécutif et impartiaux, devraient appliquer les lois qui ont reçu l’assentiment massif de larges majorités ou qui ont été consacrées par le temps et par l’usage. Voilà les titres de liberté que l’on devrait trouver dans chaque foyer. Voilà le message que les peuples britannique et américain adressent à l’humanité. Prêchons ce que nous pratiquons ; pratiquons ce que nous prêchons.
[…]
Une ombre est tombée sur les scènes qui avaient été si clairement illuminées récemment par la victoire des Alliés. Personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation communiste internationale ont l’intention de faire dans l’avenir immédiat, ni où sont les limites, s’il en existe, de leurs tendances expansionnistes et de leur prosélytisme. J’éprouve une profonde admiration et un grand respect pour le vaillant peuple russe et pour mon camarade de combat, le maréchal Staline. Il existe en Grande-Bretagne — de même qu’ici, je n’en doute pas – une profonde sympathie et beaucoup de bonne volonté à l’égard des peuples de toutes les Russies et une détermination à persévérer, malgré beaucoup de divergences et de rebuffades, à établir des amitiés durables. Nous comprenons le besoin de la Russie de se sentir en sécurité le long de ses frontières occidentales en éliminant toute possibilité d’une agression allemande. Nous accueillons la Russie à sa place légitime au milieu des nations dirigeantes du monde. Nous accueillons son pavillon sur les mers. Par-dessus tout, nous nous félicitons des contacts fréquents et croissants entre le peuple russe et nos propres populations de pan et d’autre de l’Atlantique. Il est toutefois île mon devoir, car je suis sûr que vous souhaitez que je vous expose les laits tels que je les vois, de rappeler devant vous ici tains faits concernant la situation présente en Europe.
De Stettin dans la Baltique jusqu’à Tries te dans l’Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l’Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l’influence soviétique, mais aussi à un degré très élevé et, dans beaucoup de cas, à un degré croissant, au contrôle de Moscou. Seule Athènes – la Cîrèce et ses gloires immortelles – est libre de décider de son avenir dans des élections contrôlées par des observateurs britanniques, américains et français. Le gouvernement polonais
dominé par la Russie a été encouragé à empiéter large¬ment et de façon illégitime sur l’Allemagne, et nous assistons actuellement à des expulsions massives de millions d’Allemands dans une mesure atroce et inimaginable. Les partis communistes, qui étaient très faibles dans tous ces États de l’Est européen, se sont vus élevés à une prédominance et à un pouvoir bien au-delà de leur importance numérique et cherchent partout à accéder à un contrôle totalitaire. Des gouvernements policiers dominent dans presque tous les cas et, jusqu’à présent, à l’exception de la Tchécoslovaquie, il n’y a pas de vraie démocratie.
[…] Les Russes à Berlin tentent actuellement de mettre sur pied un parti quasi communiste dans leur zone de l’Allemagne occupée en accordant des faveurs spéciales à des groupes de dirigeants allemands de gauche. […]
Dans un grand nombre de pays, loin des frontières russes et partout à travers le monde, les cinquièmes colonnes communistes se sont installées et travaillent en parfaite unité et dans l’obéissance absolue aux directives qu’elles reçoivent du centre communiste. À l’exception du Commonwealth britannique et des États-Unis, où le communisme en est encore à ses débuts, les partis communistes ou les cinquièmes colonnes constituent un défi et un danger croissants pour la civilisation chrétienne. Ce sont là des faits sombres que nous sommes obligés de mentionner au lendemain d’une victoire remportée par une si grande et belle camaraderie sous les armes et pour la cause de la liberté et de la démocratie ; mais il serait très imprudent de ne pas y faire face résolument alors qu’il en est encore temps.
Les perspectives sont effrayantes aussi en Extrême- Orient et surtout en Mandchourie. L’accord conclu à Yalta, avec ma participation, a été extrêmement favorable à la Russie soviétique, mais il a été conclu à un moment où personne ne pouvait dire que la guerre contre l’Allemagne ne risquait pas de se prolonger tout au long de l’été et de l’automne de 1945 et où l’on s’attendait à ce que la guerre contre le Japon se poursuive encore pendant dix-huit mois après la fin île la guerre contre l’Allemagne. […]
Ce que j’ai pu voir chez nos amis ci alliés russes pendant la guerre m’a convaincu qu’il n’y a rien qu’ils admirent autant que la force et rien qu’ils respectent moins que la faiblesse, surtout la faiblesse militaire. C’est pourquoi la vieille doctrine d’un équilibre des forces est hasardeuse. Nous ne pouvons nous permettre, s’il est en notre pouvoir de l’éviter, de nous appuyer sur des marges étroites et d’éveiller ainsi les tentations d’une épreuve de force. Si les démocraties occidentales s’unissent dans le strict respect des principes de la ( ‘lutte des Nations unies, leur influence dans la propagation île ces principes sera immense et personne ne sera capable île les molester. Mais si elles sont divisées, si elles manquent leur devoir et qu’elles laissent échapper ces années A combien importantes, alors une catastrophe risque effectivement de s’abattre sur nous tous.
La dernière fois, j’ai tout vu venir et je l’ai crié à mes propres concitoyens et au monde mais personne n’y a prêté attention. Jusqu’en 1933 ou même jusqu’en 1935, l’Allemagne aurait peut-être pu être sauvée du terrible destin qui s’est abattu sur elle et nous aurions peut-être pu échapper tous aux malheurs que Hitler a lâchés sur l’humanité. Jamais dans toute l’histoire une guerre n’aurait pu être évitée plus facilement par une action engagée au moment opportun que celle qui vient de ravager de si vastes étendues du globe. Cette guerre aurait pu être évitée à mon avis sans coup férir, et l’Allemagne pourrait être puissante, prospère et honorée aujourd’hui ; mais personne ne voulait écouter et l’un après l’autre nous fûmes tous aspirés par l’affreux tourbillon. Nous devons absolument faire en sorte, Mesdames et Messieurs, que cela ne se reproduise plus. Nous n’y parviendrons que si nous réalisons aujourd’hui, en 1946, une bonne entente sur tous les points avec la Russie sous l’autorité générale de l’Organisation des Nations unies et si nous maintenons cette bonne entente pendant de longues années de paix grâce à cet instrument mondial soutenu par toute la force du monde anglophone et de toutes ses connexions. Voilà la solution que je vous offre respectueusement dans ce discours auquel j’ai donné le titre « Le nerf de la paix ». […]
Vidéo : Winston Churchill
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