La morale : La pitié est douce
Car, poursuit l’auteur, « en se met tant à la place de celui qui souffre, on sent pourtant le plaisir de ne pas souffrir comme lui ». Il y aurait donc une sorte de délectation secrète dans la commisération. Cette proposition peut paraître scandaleusement cynique, tant elle ôte de la moralité à la pitié. Faut-il y voir une validation de l’adage populaire selon lequel « le malheur des uns fait le bonheur des autres » ?
Loin s’en faut, précise Rousseau. D’une part, si je m’estime heureux de ne pas subir le même sort qu’autrui, je ne saurais m’en réjouir : dans ce dernier cas, il ne s’agirait plus de pitié, mais de haine. D’autre part, c’est bien parce que je ne souffre pas comme l’autre que je peux sincèrement m’attrister de son état. En effet, si dans la compassion je m’identifie complètement au malheureux au point d’être autant peiné que lui, alors je ne pleure finalement que sur moi-même. En revanche, lorsque la pitié conserve une certaine distance, la conscience que la souffrance d’autrui n’est pas mienne permet de comprendre la singularité de son malheur. Et ainsi d’être disponible pour lui porter secours. Le « soulagement » ne me dispense donc pas d’agir. Au contraire, il permet de libérer mon désir d’atténuer son chagrin.
La voix de la pitié, répugnance innée face à la détresse d’autrui, constitue pour Rousseau le fondement de la morale. Si trop souvent le bonheur des autres nous rend envieux et enclins à leur nuire, la compassion, parce qu’elle adoucit nos malheurs, nous dispose à l’amour d’autrui.