Autrui : Le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande
Ce « paradoxe de Tocqueville » reste d’actualité. Brillant analyste des États-Unis de son temps, le penseur français avait remarqué que le fondement des démocraties modernes réside dans l’égalité. Les droits politiques et la mobilité sociale s’y conjuguent pour donner aux hommes un vif sentiment d’être égaux. Toutefois, ils ne sont jamais comblés. Pourquoi ?
Dans les sociétés aristocratiques anciennes, les plus fortes inégalités, confortées par la tradition, ne frappaient pas les esprits. Mais dans nos sociétés démocratiques, les moindres distinctions blessent l’œil. La sensibilité, voire la susceptibilité, aux différences devient plus vive. Les individus cherchent alors à se rattraper les uns les autres et entrent dans une spirale de concurrence permanente qui, paradoxalement, empêche d’instaurer une égalité parfaite. Or, leur amour de l’égalité, lui, ne faiblit pas. Par conséquent, même si les différences sociales se réduisent objectivement, elles sont plus difficiles à supporter subjectivement. Au lieu d’atténuer les jalousies et les frustrations, la réduction des écarts les exacerbe ! Si ces nouveaux citoyens accroissent leur bien- être matériel, ils sont pourtant rarement heureux, note Tocqueville, car ils « songent sans cesse aux biens qu’ils n’ont pas ».
Peut-être cela renvoie-t-il aussi à un constat banal : chacun a tendance à jalouser davantage ceux avec qui il peut se comparer que ceux qui lui paraissent hors de portée. Un soldat n’enviera-t-il pas plus son sergent que son général ?