Le bonheur: Nous ne vivons jamais , mais espérons de vivre ; et , nous disposant toujours à être heureux , il est inévitable que nous ne le soyons jamais
Le bonheur est l’horizon de notre existence et tous nos choix jalonnent l’édification de cet idéal auquel nous aspirons avec tant d’avidité. Mais le propos sombre de Pascal nous met ici en garde : paradoxalement, n’est-ce pas notre recherche frénétique du bonheur qui en rend impossible la jouissance ?
En effet, le souci du bonheur induit une existence inquiète, écartelée entre la nostalgie d’un passé joyeux et l’impatience d’une félicité à venir. Lorsque toute notre activité est investie dans la recherche d’un bien- être en vue duquel nous déployons d’immenses efforts, le bonheur est tout simplement reporté. Ainsi, nous « espérons de vivre » plus que nous ne profitons des moments heureux qui s’offrent à nous. Mais n’est-ce pas là un pari risqué puisque nous ne sommes guère assurés de jamais accéder à ce bonheur convoité ? Au fond, nous laissons échapper la seule chose qui nous appartienne ; le présent, parce que nous en faisons un moyen en vue d’une fin seulement probable : le « futur ». Le verdict de Pascal nous rappelle donc une vérité essentielle : notre rapport au temps hypothèque par lui-même nos possibilités de bonheur.
Ainsi, l’avare se prive de tout pour épargner et l’ambitieux dédaigne le présent au nom d’une gloire future, car tous deux se réservent pour l’avenir. Mais voilà bientôt, prévient Pascal, qu’on leur verse un peu de terre sur la tête et la comédie est terminée. Quel mauvais calcul que de mourir préoccupé, en ayant toujours remis à demain son bonheur réel !