Le langage : le monde devient humain seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue
Nous sommes habitués à l’idée que la parole est le propre de l’homme. Pourquoi faire du dialogue en particulier, parmi les différentes formes du langage, une condition d’humanité ?
Les hommes ne sont pas les seuls êtres vivants à communiquer : de nombreuses espèces animales s’adressent signaux et messages. Mais elles ne dialoguent pas. Car le dialogue n’est pas un simple échange d’informations. C’est une opération réciproque qui exige de s’entendre sur des critères de sens et de valeur, une manière d’être à deux qui rend possible la construction d’un monde commun. Celui-ci est donc autant une réalité physique qu’un univers de symboles à l’intérieur duquel ceux qui dialoguent évoluent. Puisant aux racines grecques de la démocratie, Hannah Arendt nous rappelle que la possibilité insigne qui est donnée à l’être humain de débattre avec ses semblables est le fondement de la sociabilité. C’est parce que les hommes sont capables de s’extraire de la citadelle de leur subjectivité pour « parler-ensemble » du monde qu’ils peuvent finalement l’« habiter-ensemble ». En d’autres termes, ils humanisent ce qui se produit en eux et hors d’eux à partir du moment où ils en parlent.
Propos édifiants ? Mais qu’y a-t-il de plus inhumain dans la solitude, sinon le fait qu’elle prive l’individu de dialogue ? En adressant la parole à ces miséreux solitaires, ces exclus abandonnés si nombreux dans nos villes, nous les voyons comme renaître : n’est-ce pas leur monde qui, l’espace d’un instant, redevient justement humain ?