L'État : Cette sorte de servitude réglée , douce et paisible à l'ombre même de la souveraineté du peuple
Dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1835-1840), Tocqueville pointe le danger qui menace la démocratie. Non pas, comme on pourrait le craindre, un basculement dans l’anarchie, mais plutôt une dérive insensible vers un despotisme doux, étrangement compatible avec les apparences de la liberté.
Les sociétés modernes ayant aboli les anciennes hiérarchies, le peuple s’attache au principe de l’égalité. Il se refuse à l’autorité de quelques- uns et s’accommode mieux de pouvoirs centraux impersonnels. En outre, les individus se consacrent essentiellement à l’accroissement de leur bien-être, et ce « goût des jouissances matérielles » se développe au détriment de l’amour de la liberté, dont l’exercice réclame un engagement civique. Ces nouveaux citoyens ont donc tendance à se replier sur leur sphère privée et à négliger la vie politique. Un pouvoir fort leur semble même bienvenu s’il garantit l’ordre et la protection de leurs affairements quotidiens. Individualisme et indifférence à la vie publique risquent alors de faire le lit d’un pouvoir « immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur providence et de veiller sur leur sort ». Un pouvoir absolu inédit, met en garde Tocqueville, suffisamment précis et bureaucratique pour contrôler leur vie, mais aussi suffisamment régulier et prévoyant pour se dispenser, en général, de recourir à la violence.
Rappelons néanmoins que Tocqueville est un défenseur de la démocratie Sa mise en garde vise donc surtout à préconiser une société civile active, faite d’associations capables d’organiser les énergies citoyennes et de fournir des contre-pouvoirs à l’État.