Le désir : Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède
Julie ou la Nouvelle Héloïse, roman à succès du XVIIIe siècle, relate les amours contrariés de Julie et de Saint-Preux, empêchés de s’unir par l’ambition d’un père cruel. Condamnés à dissimuler leurs élans interdits par le mariage de raison imposé à Julie, les deux amants ne perdent pourtant rien de leur flamme. Comment parviennent-ils à endurer l’épreuve de cet amour impossible ?
C’est qu’il y a, selon Rousseau, davantage de bonheur dans l’anticipation propre au désir que dans sa jouissance. Une fois atteint, l’objet convoité perd le caractère mystérieux et idéal que lui conférait l’inaccessibilité. Aussi le plaisir augmente-t-il avec l’espoir, tandis que la satisfaction déçoit, au point que la fin de toute attente est synonyme de malheur. Cette ambiguïté du désir, qui s’alimente de la distance, se comprend par son lien intime avec l’imaginaire. En effet, la rêverie et le fantasme magnifient les êtres aimés, sans que cette illusion ne soit néfaste puisqu’elle berce les amants dans un pays de chimères où il fait bon vivre.
En somme, l’impossibilité de leur union ne fait pas sombrer Julie et Saint-Preux dans la frustration ou la souffrance. Comprenant qu’ils s’aimeront mieux dans leurs songes qu’au quotidien, et que la retenue du désir peut faire de la vertu une volupté, ils subliment leur amour sans jamais trahir leur âme par le mensonge ou l’adultère.