Autrui : Un ami est un autre soi-même: un ami est un autre soi même
Comme nombre de philosophes grecs, Aristote encourage chaque homme à mieux se connaître et à tenter de se suffire à soi-même. Pour ce faire, il n’hésite pas à prendre l’autarcie de Dieu comme modèle. Y a-t-il une place pour autrui dans un tel projet ?
La réponse tient dans le rôle de l’amitié. Seul, affirme Aristote, je m’aveugle nécessairement sur ma personne. Il m’arrive, par exemple, d’adresser à d’autres des reproches, sans m’apercevoir que je commets les mêmes erreurs ou que je possède des travers similaires. En revanche, en me tournant vers mon ami et en dialoguant, je me donne les moyens de mieux me comprendre. Tel le miroir dans lequel je me contemple, l’ami me permet de me connaître, là où l’introspection est paradoxalement mise en échec. Ainsi, le véritable ami sera pour Aristote une sorte d’alter ego, c’est-à-dire un « autre moi ». On ne saurait mieux affirmer à quel point l’amitié va au-delà de la simple camaraderie : elle possède une dignité tout à fait unique parmi l’éventail des relations à autrui, puisque finalement j’aime mon ami autant que moi-même.
Le propos est noble, mais on peut s’interroger sur la similitude que semble exiger Aristote entre authentiques amis. L’« autre moi » n’est-il pas aussi et toujours un « autre que moi » ? Ne peut-on être l’ami de quelqu’un de profondément dissemblable ? En recherchant dans l’ami un double, je risque à coup sûr de me priver de l’enrichissement qu’offrent les différences.