Vladimir Poutine
Introduction:
Vladimir Vladimirovitch Poutine, né en 1952 à Saint- Pétersbourg, a été président de la Fédération de Russie de décembre 1999 à mai 2008, avant de devenir le Premier ministre du président Medvedev.
Ce juriste de formation a servi pendant quinze ans dans les rangs du service de renseignement soviétique, le KGB. Il a ensuite assumé des fonctions politiques dans sa ville natale, puis est entré en 1997 au service de Boris Eltsine. En 1999, il est d’abord Premier ministre, puis devient président par intérim après la démission d’Eltsine.
Poutine annonce immédiatement son intention de restaurer l’État, et ce alors que la Fédération de Russie est au plus mal : mouvements séparatistes et terroristes, économie livrée aux oligarques et à l’étranger. Luttant contre la corruption, il redonne au pays une certaine stabilité économique, notamment par le contrôle de l’énergie et des matières premières.
Sur la scène internationale aussi, Poutine cherche à restaurer l’image d’une Russie qui, après avoir été la terreur du monde « libre » à l’époque de la guerre froide, semblait devenue incapable de mener des conflits même limités comme celui de la Tchétchénie. De plus, la politique de l’OTAN dans les Balkans, menée contre la Serbie, ces « Slaves du Sud », ou l’incorporation à cette organisation de pays de l’ancien bloc de l’Est, ajoutent aux complexes de la Russie.
Au début de l’année 2007, l’OTAN et les États-Unis décident d’installer des missiles balistiques en Pologne et en République tchèque. Vladimir Poutine, dans ce discours prononcé le 10 février 2007 à la conférence de Munich sur la sécurité, critique ce qu’il considère comme une tentative pour imposer, en violation des accords antérieurs, un monde « unipolaire ». La Russie n’est pas sortie du jeu mondial au début du XX siècle, loin de là…
Discours de Vladimir Poutine:
il faut repenser sérieusement l’architecture globale de la sécurité
Madame la Chancelière fédérale, […] Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie pour cette invitation à participer à une conférence aussi représentative, qui a réuni hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de plus de quarante pays du monde.
Le format de conférence me permet d’éviter les formules de politesse superflues et le recours aux clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens. Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la sécurité internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques ou même imprécis, je vous demande de ne pas m’en vouloir.
On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de l’économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le développement du dialogue entre les civilisations.
Le caractère universel et indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de base : « La sécurité de chacun signifie la sécurité de tous. » Franklin Roosevelt avait déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où que la paix soit rompue, c’est le monde entier qui est menacé. »
Ces paroles restent valables aujourd’hui. D’ailleurs, le sujet de notre conférence en témoigne : « Les crises globales impliquent une responsabilité globale ».
Il y a vingt ans, le monde était divisé sur le plan économique et idéologique et sa sécurité était assurée par les potentiels stratégiques immenses des deux superpuissances.
La confrontation globale reléguait les problèmes économiques et sociaux urgents à la périphérie des relations internationales et de l’agenda mondial. De même que n’importe quelle guerre, la guerre froide nous a laissé, pour ainsi dire, des « obus non explosés ». Je pense aux stéréotypes idéologiques, aux doubles standards et autres clichés hérités de la mentalité des blocs.
Le monde unipolaire proposé après la guerre froide ne s’est pas non plus réalisé.
Certes, l’histoire de l’humanité a connu des périodes d’unipolarité et d’aspiration à la domination mondiale. L’histoire de l’humanité en a vu de toutes sortes.
Qu’est-ce qu’un monde unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu’une seule chose : c’est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision.
C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain lui-même, qui se détruira de l’intérieur.
Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité.
À propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, apprendre eux-mêmes.
J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine.
Cependant, tout ce qui se produit actuellement dans le monde – et nous ne faisons que commencer à discuter à ce sujet – est la conséquence des tentatives pour implanter cette conception dans les affaires mondiales : la conception du monde unipolaire.
Quel en est le résultat ?
Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont pas diminué. […] Les victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien plus nombreuses qu’auparavant.
Nous sommes en présence de l’emploi hypertrophié, sans aucune entrave, de la force – militaire – dans les affaires internationales, qui plonge le monde dans un abîme de conflits successifs. Par conséquent, aucun des conflits ne peut être réglé dans son ensemble. Et leur règlement politique devient également impossible.
Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, dans la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui cela peut-il convenir ?
Dans les affaires internationales, on se heurte de plus en plus souvent au désir de régler tel ou tel problème en s’inspirant de ce qu’on appelle l’opportunité politique, fondée sur la conjoncture politique.
Évidemment, cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à le souligner, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international. Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux armements.
La domination du facteur force alimente inévitablement l’aspiration de certains pays à détenir des armes de destruction massive. Qui plus est, on a vu apparaître des menaces foncièrement nouvelles qui étaient connues auparavant, mais qui acquièrent aujourd’hui un caractère global, comme le terrorisme.
Je suis certain qu’en ce moment crucial il faut repenser sérieusement l’architecture globale de la sécurité.
Il faut rechercher un équilibre raisonnable des intérêts de tous les acteurs du dialogue international, et ce d’autant plus que le « paysage international » change très rapidement et substantiellement en raison du développement dynamique de toute une série d’États et de régions.
Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de la Chine en parité de pouvoir d’achat dépasse déjà celui des États- Unis. Le PIB des États du groupe BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – évalué selon le même principe dépasse le PIB de l’Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va s’élargir dans un avenir prévisible.
Il ne fait pas de doute que le potentiel économique des nouveaux centres de la croissance mondiale sera inévitablement converti en influence politique, et que la multipolarité se renforcera.
Le rôle de la diplomatie multilatérale s’accroît considérablement dans ce contexte. L’ouverture, la transparence et la prévisibilité en politique n’ont pas d’alternative raisonnable et l’emploi de la force doit effectivement être une mesure ultime, comme la peine de mort dans les systèmes judiciaires de certains États.
Aujourd’hui, au contraire, nous observons une situation où des pays dans lesquels la peine de mort est inter¬dite, même à l’égard des assassins et d’autres dangereux criminels, participent allègrement à des opérations militaires qu’il est difficile de considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de milliers de civils !
Une question se pose en même temps : devons-nous rester impassibles face à divers conflits intérieurs dans certains pays, aux actions des régimes autoritaires, des tyrans, à la prolifération des armes de destruction massive ?
Pouvons-nous assister impassiblement à ce qui se produit ? Bien entendu, nous ne devons pas rester impassibles. Bien sûr que non.
Mais avons-nous les moyens de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il suffit de se rappeler
l’histoire récente. Le passage à la démocratie n’a-t-il pas été pacifique dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation pacifique, malgré la grande quantité d’armes, y compris nucléaires, dont il disposait ! Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd’hui à tout bout de champ ? Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les valeurs démocratiques et le droit, en l’absence d’une menace d’extermination réciproque ?
Je suis certain que la Charte des Nations unies est l’unique mécanisme d’adoption de décisions sur l’emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre d’idées, ou bien je n’ai pas compris ce qui vient d’être déclaré par notre collègue ministre italien de la Défense, ou bien il ne s’est pas exprimé clairement. En tout cas, j’ai entendu ce qui suit : l’usage de la force ne peut être légitime que si cette décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. S’il l’estime effective-ment, alors nos points de vue sont différents. Ou bien j’ai mal entendu. L’usage de la force n’est légitime que sur la base d’un mandat des Nations unies. Il ne faut pas substituer l’OTAN et l’Union européenne à l’Organisation des Nations unies. Lorsque l’ONU réunira réelle¬ment les forces de la communauté internationale qui pourront réagir efficacement aux événements dans certains pays, lorsque nous nous débarrasserons du mépris du droit international, la situation pourra changer. Sinon, elle restera dans l’impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut œuvrer pour que le droit international soit universel aussi bien dans sa compréhension que dans l’application de ses normes.
Il ne faut pas oublier qu’en politique, le mode d’action démocratique suppose nécessairement une discussion et une élaboration minutieuse des décisions.
Mesdames et Messieurs, le risque potentiel de déstabilisation des relations internationales tient également à l’absence évidente de progrès dans le domaine du désarmement.
La Russie se prononce pour la reprise du dialogue à ce sujet.
Il est très important d’appliquer les normes juridiques internationales en matière de désarmement, tout en poursuivant la réduction des armements nucléaires.
La Russie respecte strictement le Traité sur la non- prolifération des armes nucléaires et le régime multilatéral de contrôle de la technologie des missiles, et elle a l’intention de les respecter à l’avenir également. Les principes à la base de ces documents revêtent un caractère universel.
À cette occasion, je tiens à rappeler que dans les années 1980, l’URSS et les États-Unis ont signé un Traité sur l’élimination des missiles à moyenne et plus courte portée sans toutefois conférer de caractère universel à ce document.
À l’heure actuelle, toute une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la République populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le Pakistan, l’État d’Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir ces systèmes et envisagent d’en doter leurs forces armées. Or seuls les États-Unis d’Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas construire ces armes.
Il est clair que dans ces conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre sécurité.
En même temps, il faut empêcher l’apparition de nouveaux types d’armes de pointe susceptibles de déstabiliser la situation. Je ne parle pas des mesures visant à prévenir la confrontation dans de nouveaux milieux, surtout dans l’espace. On sait que les « guerres des étoiles » ne relèvent plus de la fiction mais de la réalité. Dès le milieu des années 1980, nos partenaires américains ont réussi à intercepter un de leurs satellites.
Selon la Russie, la militarisation de l’espace est susceptible d’avoir des conséquences imprévisibles pour la communauté mondiale, conséquences qui ne seraient pas moins graves que l’avènement de l’ère nucléaire.
En ce qui concerne les projets prévoyant le déploiement en Europe d’éléments du système de défense antimissiles, ils ne manquent pas non plus de nous inquiéter. Qui a besoin d’une nouvelle relance — inévitable en l’occurrence – de la course aux armements ? Je doute fort que ce soient les Européens.
Profitant de mon séjour en Allemagne, je tiens à évoquer la crise que traverse le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe.
Signé en 1999, ce Traité était adapté à une nouvelle réalité géopolitique : le démantèlement du bloc de Varsovie. Sept ans se sont écoulés depuis, mais il n’a été ratifié que par quatre pays, dont la Fédération de Russie.
Il est évident, je pense, que l’élargissement de l’OTAN n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est un facteur représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui cet élargissement est opéré.
Les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment grâce au choix historique de notre peuple — le peuple de Russie – en faveur de la démocratie et de la liberté, de
l’ouverture et du partenariat sincère avec tous les membres de la grande famille européenne.
Or, maintenant, on s efforce de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs. Même s ils sont virtuels, ils ne manquent pas de diviser, de compartimenter notre continent. Faudra-t-il à nouveau des années et des décennies, une succession de plusieurs générations de responsables politiques pour démanteler ces murs ?
Dans la sphère énergétique, la Russie s’oriente vers l’élaboration de principes de marché et de conditions transparentes qui soient les mêmes pour tous. Il est évident que le prix des hydrocarbures doit être établi par le marché et ne doit pas faire l’objet de spéculations politiques ni de pressions ou de chantages économiques.
La sécurité économique est une sphère où tous doivent s en tenir à des principes uniques. Nous sommes prêts à une concurrence loyale
Et encore un thème très important qui influe directement sur la sécurité globale. On parle beaucoup aujourd’hui de la lutte contre la pauvreté. Mais qu’est-ce qui se produit en réalité ? D’une part, des ressources financières— et souvent importantes — sont allouées à des programmes d assistance aux pays les plus pauvres. Quoi qu il en soit, et beaucoup le savent ici également, il n’est pas rare que les compagnies des pays donateurs eux- mêmes les « utilisent ». D’autre part, l’agriculture dans les pays industrialisés est toujours subventionnée, alors que l’accès des hautes technologies est limité pour d’autres.
Appelons donc les choses par leurs noms : il s’avère qu’une main distribue les « aides caritatives », alors que l’autre entretient l’arriération économique, mais récolte aussi des bénéfices. La tension sociale surgissant dans de telles régions en dépression se traduit inévitablement par la croissance du radicalisme et de l’extrémisme, tout en alimentant le terrorisme et les conflits locaux. Et si tout cela se produit de surcroît, par exemple, au Proche- Orient dans le contexte d’une vision aggravée du monde extérieur, en tant que monde injuste, une déstabilisation globale risque de se produire.
Il va sans dire que les principales puissances mondiales doivent voir cette menace et organiser, par conséquent, un système plus démocratique et plus équitable de rapports économiques qui donne à tous une chance et une possibilité de développement.
Mesdames, Messieurs !
En conclusion, je voudrais retenir ceci. Nous entendons très souvent — et je les entends personnellement — les appels de nos partenaires, y compris nos partenaires européens, exhortant la Russie à jouer un rôle de plus en plus actif dans les affaires internationales.
Je me permettrai à cette occasion une petite remarque. Nous n’avons pas besoin d’être éperonnés ou stimulés. La Russie a une histoire millénaire, et pratiquement elle a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante.
Nous n’avons pas l’intention aujourd’hui non plus de faillir à cette tradition. En même temps, nous voyons que le monde a changé et nous évaluons avec réalisme nos propres possibilités et notre propre potentiel. Et évidemment nous voudrions aussi avoir affaire à des partenaires sérieux et tout aussi indépendants avec lesquels nous pourrions travailler à l’édification d’un monde plus démocratique et plus équitable, tout en y garantissant la sécurité et la prospérité non seulement des élites, mais de tous.
Je vous remercie de votre attention.
Vidéo : Vladimir Poutine
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Vladimir Poutine